Papiers peints
«Mais ma parole vous êtes complètement nu
Comment trouvez vous ce costume
Il est sombre, un peu austère mais il tombe bien
Voulez-vous l’épouser ?
Il est étanche, il résiste aux chocs, il résiste au feu, il résiste aux bombes
Croyez-moi, on vous enterrera dedans.»
Sylvia Plath, «Le candidat»
Vernissage le jeudi 7 novembre
à partir de 18 h
Exposition en lien avec la biennale du livre d’artiste, le 9 & 10 novembre 2024
La Menuiserie Novembre/Décembre 2024
Rémi Ducellier
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Influencé par un oncle artiste,né en 1960, il peint depuis son plus jeune âge.
Après des études d’architecture et d’histoire, en menant différents métiers : professeur, vigneron et agriculteur, Rémi a toujours su trouver un temps de ressourcement dans la peinture.
Son esprit fécond et sensible crée un monde étrange, peuplé de personnages et de constructions en suspension. Des papiers forts sont encrés de façon intuitive et rapide, puis, des dessins ou des motifs sont reproduits sur du papier de soie. Les deux matériaux sont ensuite réunis et plus ou moins effacés sous d’autres contours.
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Tout d’abord un grand merci à Jeanne de la Menuiserie à Rodez de me proposer d’exposer dans cet endroit si chaleureux. Cette exposition m’ordonne naturellement sans fausse modestie ni trop grande estime de soi mais bien le plus naturellement possible, de me mettre un peu en lumière comme un filigrane sur un papier timbré.
De mon enfance, de ma vie singulière comme toutes les autres vies, je retiens le souvenir et la pratique de l’immersion, un corps encore enfantin dans les vagues des Syrtes et le même, avec sœurs et parents, déambulant dans la matière déchainée d’un vent de sable, grimpant les pentes aux herbes sèches d’un tumulus vandale ou craignant les scorpions cachés sous les pierres de Leptis Magna.
Des ruines, de très anciennes églises, des fresques mais aussi tout ce qui, dans un passé plus récent, témoigne d’une utilisation, d’un investissement du corps et de l’esprit : comme une boutique fermée à l’enseigne moribonde ou une gare, une usine, une restanque ou un village abandonnés concourent pour moi à ce grand rêve de matière enchevêtrée qui aboutit à l’acte de peindre.
Le goût du calembour m’engagerait à poursuivre lentement mes « Impressions d’Afrique » (Où Raymond Roussel propose au lecteur de commencer à lire par le chapitre de son choix) mais, au-delà du divertissement, le jeu de mot révèle toute l’épaisseur et l’ambiguïté du langage parfois incapable à lui seul de rendre compte d’un phénomène ou plutôt nécessitant un long apprentissage pour parvenir à la plus grande des précisions.
De là l’expérience de ce que l’on pourrait appeler les saveurs de ce qui nous entoure mêlées de celles de leurs descriptions qui, loin de déboucher sur une quelconque mélancolie relativiste, active irrépressiblement un vaste courant d’air qui constitue véritablement l’espace de la réflexion et de la création.
Impression, réflexion, page blanche et bien d’autres vocables de tous les temps et de toutes les langues signifient les rapports étroits entre les mots et les images et, si l’on y ajoute la puissance réductrice ou simplifiante de l’icône, on conçoit bien l’attrait qu’une telle magie a suscitée en moi.
Avec mon père byzantiniste j’ai été très vite au contact des iconoclastes et donc de cette très ancienne aversion de la représentation. Avec lui se promenait aussi une vieille querelle qui le fit s’éloigner de son frère peintre. J’ai côtoyé les œuvres de sa jeunesse et ses instruments de peinture : il n’était pas interdit, chez mes grands-parents, d’user de ce matériel et je m’y suis largement employé. Cette ambigüité de la problématique de l’image, enchâssée de désordres familiaux, est à l’origine de mon propre travail.
Faire coexister différentes strates de perception, les mêler, les gratter ou les effacer, donner l’illusion d’une certaine durée dans l’instant de la vision, tel est mon usage du papier.
Je m’y amuse à illustrer des vies parallèles et le repentir n’y est jamais effacé. On aimerait presque donner la liberté à chacun de manipuler ces papiers au fil des différentes lumières pour en apprécier les diverses couches. Sans doute un vœu pieu mais qui rejoint une petite réflexion antécédente : tous nos sens ne prennent de sens que dans leur coexistence et, s’agissant d’œuvres plastiques, il est souvent dommage de ne point les caresser tout en les regardant. Nous ne nous contenterons pas que des mots et lors de l’exposition nous trouverons moyen de faire sentir et toucher ces œuvres de papiers.
Ce bien joli explicatif serait un peu lourd sans pénétrer au cœur même du processus créatif : son artisanat ! Car en peignant, en collant, en grattant, en dessinant, en mettant en abyme tout ce petit monde de papiers collés les uns sur les autres et parfois rehaussés de traits et de couleur, voire d’écritures obscures, nous sommes comme tout le monde travaillant, proche d’un laboureur ou d’un mécanicien. En un mot il s’agit d’un décryptage toujours crypté qui, à chaque regard singulier, pourrait dévoiler quelque nouvelle perspective : du figé qui pourrait néanmoins galoper, de l’esthétique certes, mais pris à bras le corps.
Voici la fabrique : d’une part des papiers forts de format généralement raisin sont encrés ou coloriés de façon rapide et intuitive ; d’autre part des dessins ou des motifs sont reproduits sur du papier de soie ; ces deux matériaux sont ensuite réunis et plus ou moins effacés, on y retrouvera ce que vous y verrez.
J’aimerais qu’il restât dans ces jeux un peu de la liberté enfantine avec ce rien de ténébreux qui s’acquiert avec l’âge.